Maitre du 15ème siècle bourguignon et ci-devant valet du prince-évêque de Liège, icellui Jehan "travaillait sur commande. Il avait exécuté le portrait des chanoines, des prélats princiers, des magnats de la finance qui dirigeaient à Bruges les filiales des grandes firmes florentines. Un jour, il décida de peindre le visage de son épouse. Non point sous les traits d'une reine, d'Eve ou de la Sainte Vierge : dans sa simple vérité. Or cette femme n'était pas une princesse, et son effigie n'avait de prix que pour son auteur. Ce jour-là, l'artiste de Cour accédait à l'indépendance. Il avait conquis le droit de créer librement, pour son plaisir." Georges Duby, Le Moyen Age, Fondements d'un nouvel Humanisme (1280-1440), Skira-Flammarion 1984.
"C'est une époque ou les jeunes filles aiment beaucoup à devenir maîtresses de maison et commander en faisant mine d'obéir. On ne connaît point le nom de baptême de Margareta mais je crois que sa famille s'appelait Chenany. Ce n'était pas une belle personne. Quand on considère son image, le peintre semble, au premier coup d'oeil, avoir mal placé son affection, comme beaucoup de savants, d'artistes et de poètes. La femme de Jehan avait un grand front, des arcades sourcilières bombées, mais presque nues. L'orbité de l'oeil est plein, avec des renflements à l'angle intérieur, près du nez ; les yeux, qui sont petits, ont les bords tant soit peu rouges et manquent de cils. Le nez s'amincit par le haut et s'évase par le bas. Les pommettes forment une légère saillie ;la bouche est pincée, la lèvre inférieure dépasse la lèvre supérieure. Voilà les parties désagréables de cette tête ; mais quand on l'examine attentivement, elle cesse de déplaire, on trouve des compensations à sa laideur. Les traits ne manquent pas d'une certaine harmonie ; le front est beau, pur, large, régulier ; la chair est blanche, fine, délicate ; il y a de l'intelligence, de la raison et de la bonté dans les yeux. Ce devait être une excellente ménagère, une de ces femmes soigneuses, attentives, laborieuses et dévouées, qui épargnent aux artistes, aux poètes et aux penseurs les tracas, les soucis de l'existence journalière, petits chagrins que le génie redoute comme de grandes infortunes. (...) Alfred Michiels, Histoire de la Peinture flamande, ForgottenBooks 2018, pages 211-212.
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